Mieux (s)'informer

Comment s'y retrouver dans le monde de l'info ?

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Par Les médias, le monde et nous NOVEL
16 févr. · 4 mn à lire
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On ne peut plus rien dire ?

Mieux s'informer #2 - 15 février 2024

Bonjour à toutes et tous,

Bienvenue dans la seconde édition de Mieux s’informer, la lettre d’information du collectif “Les médias, le monde et nous”.
Vous recevez ce message en raison de votre abonnement à notre liste de diffusion, ou parce que vous avez contribué à notre campagne de prévente du kit de survie dans le monde de l’information.
Que trouve-t-on au menu de cette lettre d’information ? Un partage d’actualités incontournables, un entretien avec le journaliste Thierry Keller, et des nouvelles de nos outils ! Bonne lecture :)

Repéré pour vous

L’information s’effondre ? Vive l’information ! C’est, en substance, ce que raconte Hubert Guillaud, ex-rédac chef de feu Internet Actu, qui offre une bonne analyse de la perte d’influence culturelle des médias. Cela dit beaucoup de la période actuelle… et de la manière dont nos repères se fragmentent. Au point de bouleverser nos démocraties ?

Copie d'écran du site The AtlanticCopie d'écran du site The Atlantic

Une chose est sûre : nous sommes mal barré•es ! À en croire le dernier ouvrage de Bruno Patino, Submersion (Grasset Ed.), nous ne sommes plus des poissons rouges dotés d’un manque d’attention (sujet de son précédent livre), mais des “ruminants sous hallucinogènes”, des individus devenus des produits dépendant d’un Internet qui ne cesse de nous déposséder… Avec pour conséquence “une déréalisation du monde” et la croissance de la solitude. Pour bien comprendre la chose, on vous conseille d’ailleurs le dernier numéro du 1 Hebdo, pile-poil dans le sujet :

Quand le climato-scepticisme dépasse les bornes, il est condamné ! Tel en a décidé le tribunal de la Cour supérieure de Washington D.C. en condamnant le 8 février Rand Simberg et Mark Steyn, qui avaient affirmé que le climatologue Michael E. Mann avait trafiqué ses données et l’avaient comparé à un pédocriminel. Le jury a estimé que les deux hommes poursuivis ont fait preuve de « méchanceté, dépit, mauvaise volonté, vengeance ou volonté délibérée de nuire » explique le site Reporterre - une caractérisation essentielle pour démontrer que ces propos dépassaient le cadre de la liberté d’expression. Ils devront verser 1 million de dollars (environ 928 000 euros) de dommages et intérêts compensatoires.

Au sujet du climatoscepticisme d’ailleurs, on vous recommande ce dernier épisode du podcast The Greenletter Club, autour du chercheur (CNRS) David Chavalarias, qui analyse l’évolution du climato-scepticisme sur les réseaux sociaux.

En attendant, on a appris un nouveau mot ce mois-ci : l’infophobie !


On ne peut plus rien dire ?

On a lu pour vous le dernier livre de Thierry Keller, co-fondateur de la revue Usbek et Rica. Quand on ose plus rien rire (de peur de passer pour un réac) aux éditions de l’Aube est un ouvrage osé, très documenté, qui fait du bien pour comprendre les tenants et aboutissants du “wokisme” et ses effets. Cela nous a donné envie de l’interroger !

Thierry Keller - Photo © DRThierry Keller - Photo © DR

Bonjour Thierry ! Au début de ton livre, tu racontes n’avoir pas compris pourquoi, au cours d’un dîner avec un couple d’américains plus jeunes que toi, tu as eu l’impression de faire tâche en affirmant adorer Woody Allen… t’interrogeant alors sur la manière de séparer l’homme de son oeuvre (vaste question !) Ce fut ta première expérience du genre, et tu en épingles de nombreuses autres, au point de t’interroger sur la nature du “wokisme” aujourd’hui…

En effet, c’est la première des difficultés, car le wokisme n’existe pas ! Si on dit à une personne qu’elle est woke, elle va mal le prendre, on ne va pas s’entendre sur les termes du débat et au final elle sera perçue comme réactionnaire. La raison en est que le débat n’est plus d'’ordre intellectuel : il touche à des réactions d’intolérance qui ne permettent plus de dialoguer. Si j’approuve des deux mains l’émergence dans la société de questions aussi fondamentales que celles concernant la place des femmes, le genre, la “race”, ou le vivant, je trouve compliqué que les mouvances qui portent ces sujets soient parfois fort virulentes, à demander à des personnes pensant comme au 18ème siècle d’avoir une conscience de personnes nées au 22 ème. Doit-on effacer l’histoire sous prétexte de faire avancer ces sujets ? Non ! A mon sens cette posture est compliquée, et le wokisme, avec des jugements en surplomb, peut s’apparenter à une volonté de tout réécrire depuis aujourd’hui… C’est la meilleure garantie de guerre civile !

Qu’est-ce que cela dit de la vie des idées aujourd’hui ?

Qu’elle est hyper polarisée et que c’est dur d’avoir une pensée libre. Quoi que l’on dise, on est catalogué et la partie veut dire le tout ! Si on remet en cause le nouveau antiracisme, on est forcément un masculiniste blanc patriarcal, on ne peut penser librement sur chaque sujet, et ce d’autant que je ne suis pas un pur intellectuel et que je ne passe pas ma vie à lire des livres. En ce sens, je m’en réfère à Anne Dufourmentelle et sa puissance de la douceur : j’aime être surpris, j’adore qu’on me pousse à penser autrement, et ce d’autant plus que depuis dix ans, sur tonne de sujets, je suis beaucoup moins “bourrin” qu’avant ! Je reste néanmoins un humaniste attaché à la nuance, et force est de constater que la vie des idées est bloquée en mode “Si on dit ça, on pense forcément ça sur le reste…” - ce qui gêne la façon même dont on peut aborder la notion de progrès et questionner le devenir humain dans son ensemble.

Quel regard le journaliste que tu es porte-t-il sur la réalité de nos vies en ligne, ultra-connectées ?

Cela créé de vrais séismes intergénérationnels, avec des effets sur nos rapports au corps, et même sur le développement de certaines maladies mentales. A mon sens, le rapport au réel est menacé par une hallucinante peur de la réalité - comment se situer quand on peut lever des armées dans des jeux vidéos (la nuit) et se faire pourrir par son patron (la journée) ? Que vit-on dans ces cas là ? Je ne crois pas que la société souffre d’une hausse de l’individualisme, mais bien plutôt de l’ultra-narcissicisme, avec au final une victoire du ressenti. Plus personne ne parle d’empowerment, se toucher, la confrontation à autrui, et aussi une certaine forme de douleur. J’ai rencontré Michel Serre il y a quelques années, et il expliquait que la morale collective a été fondée sur la souffrance, sur quelque chose de douloureux. Dans la société bourrée d’anti-douleurs qu’est la nôtre, cela donne quoi comme morale ? Quand tout peut devenir une micro-agression ? Que penser quand il faut sans cesse se rééduquer ou se taire ?

Comment le monde de l’information peut-il s’adapter, dans ces conditions ?

Dans le monde de la presse, je cherche des médias qui ne me disent pas quoi penser. Mais a-t-on encore la place pour des médias objectifs aujourd’hui ? Quelle est notre liberté de penser ? Quelle intégrité peut offrir un média, pour nous laisser juge, et créer les conditions du débat ? Où cultiver l’espoir dans tout ça, pour s’adapter ?

A force de suivre les enquêtes d’opinion, j’en viens à penser que tout cela tient dans la dichotomie qui existe entre une minorité bruyante et une majorité silencieuse qui reste dans la perplexité par rapport aux débats de société. C’est à eux qu’il faut aussi s’adresser, et jouer l’apaisement… un apaisement que récupère aujourd’hui la candidate du RN quand elle se met en scène avec ses châtons… hélas.

N’est-ce pas lié aussi à un besoin de retrouver un cadre et des repères quand tout fout le camp ?

S’en référer à l’histoire, ce n’est pas regretter le passé. Dans la société aujourd’hui, il n’y a pas un désir de colère mais un désir de calme qu’il faut capter. C’est là que la gauche devrait repenser à son positionnement, car elle se fait désormais avoir par ces pensées qui la dépassent. La majorité de gauche reste silencieuse et attend la fin de l’orage en faisant le jeu de l’extrême droite.

Comment s’adapter et revenir dans le débat sans raser les murs ?

Il faut rester de bonne humeur, ne pas être dans la réaction ou s’énerver. Rester à l’écoute de ce qui se passe, avec une posture quasi-métaphysique, qui ne se laisse pas impressionner. Je suis contre les guerres culturelles et j’en appelle à l’humour, à cet urgent besoin de rire de tout. Avec une bonne dose de subversion et d’inattendu !


Des nouvelles de nos outils !

Loick était à Lannion il y a dix jours aux côtés du club de la presse des Côtes-d’Armor pour présenter la carte du paysage médiatique et la médiaventure ! Il est revenu plein d’idées d’animation :)

Pour l’occasion, nous avons élaboré une carte vierge, en noir et blanc, de manière à faciliter vos animations d’atelier. Vous pouvez la trouver ici en PDF.

© Natacha Bigan pour Les médias le monde et nous© Natacha Bigan pour Les médias le monde et nous

En attendant, vous pouvez toujours commander nos outils ici.

N’hésitez pas à nous tenir au courant de vos usages et à nous faire des retours d’expérience :)

A bientôt !

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