Mieux s'informer #4 - 7 janvier 2025
Bonjour à toutes et tous,
Bienvenue dans la quatrième édition de Mieux s’informer, la lettre d’information du collectif “Les médias, le monde et nous”.
Vous recevez ce message en raison de votre abonnement à notre liste de diffusion, ou parce que vous avez acheté notre kit de survie dans le monde de l’information.
Au menu de cette lettre d’information ? Nos vœux pour que le paysage médiatique français soit un peu moins malade qu’en 2025, ainsi qu’un souhait : que nous arrivions à mieux nous écouter, pour mieux nous entendre et vivre ensemble - surtout en cette journée de commémoration des attentats de Charlie Hebdo…
On vous explique comment ci-dessous👇🏽
Et si nous apprenions à mieux nous entendre et à mieux dialoguer pour re-faire société ? C’est, en substance, l’idée portée dans un petit livre rouge qui sort demain, mercredi 8 janvier aux éditions Payot. L’autrice, Nina Fasciaux, animée par la volonté de redonner un rôle central à l’information, interroge notre capacité à réparer la démocratie en offrant, par les médias, des espaces d’écoute sincère et de dialogue.
Pour connaître Nina depuis une dizaine d’années, on peut vous assurer qu’elle sait de quoi elle parle quand elle partage le fruit de son expérience journalistique. Auparavant journaliste en Russie, elle est référente du Solution Journalism Network (SJN) en Europe depuis 2016. Elle a eu l’occasion d’échanger avec de nombreuses personnes qui essayent, partout dans le monde, de tisser un autre lien social par une approche journalistique apaisée et apaisante.
Elle plaide, comme nous, pour un autre rapport à l’information et aux médias.
Et pour cause : il en va de notre disposition à vivre ensemble, et de notre capacité à cultiver un autre sens de l’écoute - une approche que Nina a toujours mise au cœur de son approche journalistique. “Sans en faire un combat ou une méthodologie, c’est comme ça que je suis !”, rappelle-t-elle d’emblée quand on l’interroge sur la genèse de ce livre, tout en assumant que le vrai déclic est arrivé en juin 2018, quand la journaliste américaine Amanda Ripley publie un texte remarqué dans lequel elle pose l’écoute comme une condition préalable pour réduire la fracture entre média et citoyens.
Image © Michael Marsicano
“Par la suite, le SJN a monté une formation qui reprend les enseignements de cet essai, on a été formé à la médiation et à l’écoute, et on a réfléchi à la manière de former les journalistes à l’usage de ces techniques”, détaille Nina, avec qui nous avons eu l’occasion de mettre en place un atelier de médiation inspiré de cette approche à Paris en mars 2020, juste avant le confinement, en compagnie de personnes participant au mouvement des gilets jaunes.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’écoute n’est pas une compétence enseignée dans les écoles de journalisme. Pire, on confond cette capacité avec une injonction à obéir ou à se soumettre (pensez à ce que l’on demande aux enfants quand on leur demande d’écouter…!). Résultat : “l’écoute est rarement perçue comme une compétence à acquérir. Pourtant, c’est un instinct de survie dont on s’est coupé !”, note Nina avant de poursuivre : “nombreux sont les journalistes qui craignent que cela ne prenne trop de temps. Mais une vraie capacité d’écoute, travaillée comme nous l’enseignons (notamment avec la technique du “looping - voir l’image ci-dessous), permet d’accéder à d’autres types d’information - plus authentiques, ou contenant un nouvel éclairage. J’avais l’intuition que c’était une évidence, mais cette question de l’écoute est un impensé total : les journalistes que je forme réalisent souvent qu’ils et elles ne savent pas bien écouter.”
Technique du looping (reformuler systématiquement ce que l’on a compris de la réponse, afin de s’assurer que le propos a bien été saisi)
Si certaines cultures sont plus enclines à pratiquer l’écoute, la bonne nouvelle est qu’il est possible d’apprendre à (mieux) le faire. “Le plus important est d’arriver à faire taire sa voix intérieure, et d’adopter une posture ouverte et curieuse pour accueillir la parole de l’autre, sans s’encombrer de notre propre pensée, et en faisant fi des filtres et des reformulations que notre cerveau effectue malgré nous”.
Aussi est-ce utile ci de souligner un point essentiel : donner la parole ne signifie pas écouter. “On peut donner la parole et créer des espaces d’expression, mais prenons l’émission d’Hanouna ou de la Convention Citoyenne pour le Climat : ces deux exemples créent des espaces, mais on a un impensé sur la réception de cette parole. Tendre le micro ne suffit pas : si la réponse n’est pas entendue ou si elle est suivie de mépris, c’est encore pire que le silence”, souligne l’autrice, qui insiste également sur la manière dont on confond le parler vrai et le parler simple. “On se méprend sur la forme et sur le fond - sur la forme il y a un besoin d’éviter le jargon et le langage inaccessible et complexe. Mais cela n’a rien à voir avec le fait de simplifier le message au point de faire des amalgames qui déforment les faits”.
Chose intéressante : Nina ne cible pas seulement les journalistes et les médias, mais insiste aussi sur notre capacité à écouter en tant que personnes consommant des médias et de l’information. Pour cela, elle a épluché les études réalisées par Destin Commun et notamment leurs travaux autour des six familles de Français•es afin de comprendre finement les différents types d’attentes et les besoins qui animent la société.
“Aujourd’hui, tout nous encourage à prendre position et rien ne nous met en disponibilité pour écouter l’autre. Nous cherchons à imposer nos points de vue là où nous devons composer avec nos désaccords. Dans tout cela, les médias doivent être au milieu sans être dans le passage - “on the way” comme disent les anglo-saxons”, précise l’autrice, qui cherche à ce que sa profession érige des ponts plutôt que des barrages en faisant comprendre que l’information n’est pas un simple bruit de fond.
L’enjeu principal, dans ces ponts à bâtir pour éviter d’alimenter la polarisation, consiste à recréer un socle de réalité commun ou des manières de comprendre en profondeur les vécus qui nous divisent. Il s’agit aussi de comprendre que nos sociétés ultralibérales se servent de nos émotions individuelles pour créer de la valeur financière — si bien que les polémiques rapportent gros.
Naturellement, les solutions préconisées se trouvent dans la recherche de nuance, la complexité, mais aussi dans les techniques de médiation ou de justice restauratrice. “Il faut savoir prendre de la distance pour entendre et être entendu. Et se sentir entendu passe aussi et avant tout par le fait de se sentir audible”. Il s’agit aussi de réaliser que l’information de qualité a un prix, et qu’il est possible (comme on le dit souvent ici) de “remettre la main sur ce qu’on se met dans la tête”. La collaboration et la dés-élitisation de l’information sont aussi invoqués par Nina, pour qui les journalistes ont tout à gagner à faire un travail sérieux sans se prendre au sérieux. Qui dit mieux ?
En rebond, si vous ne l’avez pas déjà vu, Doléances est un très bon documentaire d’Hélène Desplanques sur les deux millions de textes, éminemment politiques, qui ont été rédigés lors de la crise des gilets jaunes — mais occultés du débat public…
Je vous signale aussi l’excellente newsletter Redessiner le monde, de Matthieu Dardaillon, cofondateur de Ticket for change, qui cet été abordait, cet été, un outil éprouvé lors de ses formations, tiré de la méthode d’Otto Scharmer, professeur au MIT créateur de la théorie en U. L’idée est qu’il existerait 4 niveaux d’écoute, menant à 4 qualités de conversation, et permettant 4 niveaux de transformation
1️⃣ L’écoute automatique : J’écoute pour confirmer ce que je sais déjà. 👂
2️⃣ L’écoute factuelle : Je fais un effort pour écouter ce que je ne sais pas encore, ce qui est nouveau. 👂👂
3️⃣ L’écoute empathique : Je me connecte à la personne en face, à ses émotions, à ce qui n’est pas dit. 👂👂👂
4️⃣ L’écoute générative : Je suis à l’écoute de l’avenir qui veut émerger. Je mets de côté mon ego, ce qui laisse la place à des possibilités inattendues, permettant de faire émerger un avenir commun. 👂👂👂👂
Prenez des parts dans Coop-Médias - une coopérative pour mettre l’information dans de bonnes mains : les vôtres !
On vous conseille aussi cette belle émission de Médiapart « Elon Musk a jeté du fumier dans la piscine de l’info ». David Chavalarias (chercheur au CNRS) y détaille notamment l’opération HelloQuitX à laquelle on vous invite à prendre part tant il s’agit d’une façon utile de reprendre la main, justement.
Pour les dix ans des attentats de Charlie Hebdo, Le Monde propose ce long entretien croisé qui revient sur la place des caricatures de presse dans notre société, aujourd’hui : « Une certaine peur pèse sur les dessinateurs comme sur les responsables de journaux »
A regarder aussi : le documentaire Charlie, envers et contre tout, de Jérôme Lambert et Philippe Picard - Sur France 2, ce mardi 7 janvier à minuit et déjà dispo en ligne (+ une journée spéciale est organisée sur la chaîne)
À écouter : Psychologie : pourquoi tout le monde se fout du climat ? entretien avec Albert Moukheiber par le Greenletter Club
L'association Quota Climat travaille avec une coalition de député•es sur une proposition de loi permettant de remédier à cela, vous pouvez participer à la coalition de soutien de cette initiative ici.
ConspiracyWatch a lancé il y a peu une carte interactive génialissime du web conspirationniste francophone
Tant que nous sommes dans les cartes : Acrimed/Le Monde Diplo a actualisé sa carte des actionnaires des médias dominants, et le OuestMediaLab a lancé sa très attendue carte de France des rédactions locales : il y en a 2600 au total !
Voilà un an que nous avons envoyé nos premiers kits de survie ! Nous en avons venu près de 400, donc il est temps de faire un bilan et de lancer la communauté d’usagers et d’usagères. L’idée ? Récolter vos retours d’expérience, vos suggestions d’amélioration, vos idées et éventuels compléments, tout comme vos questions ou autres idées, de manière à améliorer ensemble les outils et vous inclure dans les prochaines déclinaisons !
Si jamais cela vous intéresse, merci de nous le signifier à l’adresse en indiquant votre numéro de téléphone : lesmediaslemondeetmoi@gmail.com.
Sur ce, on vous souhaite une belle journée à méditer sur notre capacité à rire de ce monde de plus en plus délirant :)